Je remercie Laetitia Hänggeli pour son aide dans l’élaboration de ce texte.
I. Généralités
Le suicide et la tentative de suicide sont des concepts fondamentalement différents. La différence se situe dans le fait que la tentative de suicide n’a pas d’issue fatale.
Le Tribunal Fédéral a cependant considéré que la tentative de suicide et ses conséquences sont assimilables à un suicide « réussi » (ATF 115 V 151).
La distinction entre un suicide et un accident est d’importance primordiale. D’après le TF, il faut « se fonder sur la force de l’instinct de conservation de l’être humain et poser comme règle générale la présomption naturelle du caractère involontaire de la mort, ce qui conduit à admettre la thèse de l’accident » (Arrêt 8C_453/2016 consid. 2). On admettra le suicide uniquement si des indices sérieux permettent de le prouver. L’appréciation de la présence d’un suicide ou d’un accident doit donc être déterminée au degré de la vraisemblance prépondérante.
II. Suicide et assurances sociales
A. LAA
Pour savoir si l’assurance accident doit fournir des prestations en cas de suicide, il faut vérifier si le suicide remplit la définition de l’accident. Par accident, on entend « toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort » (4 LPGA). En principe, l’atteinte à la santé ne peut pas être un accident si elle a été provoquée de manière intentionnelle. Une des composantes du suicide étant l’intention, le suicide ne remplit pas la définition de l’accident. De plus, l’art. 37 al. 1 LAA prévoit une exclusion des prestations dans de tels cas. Par conséquent, l’assurance accident ne doit en principe pas fournir de prestations.
Il convient de rappeler que, selon l’art. 1 al. 1 LAA, les dispositions de la LPGA sont applicables à l’assurance accident. Par conséquent, l’art. 21 LPGA concernant la réduction des prestations pourrait s’appliquer. Ce n’est toutefois pas le cas vu que les art. 37 et 39 LAA l’emportent sur les dispositions de la partie générale.
1. Exceptions
Il existe trois cas où les proches de l’assuré ont droit à des prestations LAA en cas de suicide. Tout d’abord, les frais funéraires sont tout de même pris en charge par l’assurance accident (art. 37 al. 1 LAA) en cas de suicide. La seconde hypothèse concerne le cas où l’assuré était complètement incapable de se comporter raisonnablement sans faute de sa part au moment de l’acte (art. 48 OLAA + 16 CC (ATF 13 V 61)). On considère alors le suicide comme un accident (si les autres critères de l’accident sont remplis (ATF 140 V 220 consid. 3.3)).
Enfin, si le suicide est la conséquence directe d’un accident couvert par l’assurance accident, alors des prestations devront être fournies (48 OLAA). C’est le cas lorsque l’accident a influencé la prise de décision et l’exercice de la volonté de la personne concernée au point de la pousser à se suicider (causalité adéquate). L’accident doit donc avoir une importance déterminante.
Certains auteurs défendent la position selon laquelle ce qui est déterminant est ce que l’assuré a vraiment voulu, c’est-à-dire la mort. Dans le cas où celle-ci ne surviendrait pas et que l’assuré deviendrait invalide, il aurait alors une prérogative contre l’assurance accident vu que l’invalidité n’était pas sa volonté. Le TF n’est pas d’accord avec cette appréciation. Selon lui, outrepasser les exceptions de l’art. 48 OLAA consisterait à aller à l’encontre du but législatif.
2. Conséquences
Pour les survivants
La restriction du droit aux prestations de l’assurance accident a de lourdes conséquences. En effet, lorsque l’assurance accident ne couvre pas un cas, ce rôle revient à l’assurance maladie (3 al. 1 LPGA + 1a al. 2 LPGA). Or, il se trouve qu’il existe de fortes inégalités entre les prestations de l’assurance accident et celles de l’assurance maladie. Tout d’abord, l’assurance accident ne prévoit pas de participation aux frais de la part de l’assuré alors que c’est le cas dans la LAMAL (quote-part et franchise) (art. 64 al. 2 lit. a et b LAMAL). De plus, l’assurance accident prévoit des rentes pour les survivants (28ss LAA) alors que la LAMAL n’en prévoit pas.
En cas de tentative de suicide
En cas d’incapacité momentanée de travail de l’assuré, l’assurance accident prévoit une indemnité journalière (16-17 LAA). De son côté, l’assurance maladie prévoit uniquement une assurance facultative d’indemnité journalière (67 LAMAL). Il arrive donc que l’assuré n’ait pas droit à de telles prestations si son employeur n’a pas conclu d’assurance facultative. De même, la rente d’invalidité prévue par la LAA ne pourra pas être accordée (18ss LAA). De plus, l’assurance accident couvre une plus grande palette de soins que l’assurance maladie obligatoire (art. 10 al. 1 lit. b LAA). Enfin, la liste de moyens auxiliaires de l’assurance accident (11 LAA) est plus étoffée que celle de l’assurance maladie obligatoire.
B. LAMAL
La notion d’accident permet de déterminer de manière négative la notion de maladie. Cette dernière concerne donc toute atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui n’est pas due à un accident (art. 3 LPGA). La plupart des cas de suicide ne remplissant pas la définition de l’accident, il s’agit de cas où l’assurance maladie obligatoire doit fournir des prestations.
La LAMAL ne prévoit pas de prestations en cas de décès. On peut donc uniquement analyser la problématique sous l’angle de la tentative de suicide et des conséquences en résultant.
Dans l’assurance obligatoire des soins, seules des prestations en nature sont accordées. Il n’est donc procédé à aucune réduction en cas de soins résultants de la tentative de suicide (21 al. 1 LPGA ≠ prestations en espèces).
Concernant la couverture de l’indemnité journalière (67 LAMAL), l’art. 21 LPGA est applicable à défaut d’autres dispositions particulières présentes dans la LAMAL. Cette indemnité étant une prestation en espèces, elle peut être réduite en cas d’atteinte intentionnelle à la santé.
C. AVS
La LAVS prévoit des rentes pour survivants (23 ss LAVS). Le fait que la mort soit survenue par suicide n’a pas de conséquences particulières sur les prestations AVS pour les survivants. En effet, ces prestations sont réduites uniquement si ceux-ci ont provoqué la réalisation du risque intentionnellement ou en commettant un crime ou un délit (art. 21 al. 2 LPGA). Dans le cas du suicide, ce n’est manifestement pas le cas.
D. AI
Dans le cadre de l’assurance invalidité, on se posera une nouvelle fois la question de la prise en charge de l’invalidité résultant d’une tentative de suicide vu que cette assurance sociale ne prévoit pas de prestations en cas de décès.
Dans son message, le Conseil fédéral affirme qu’il est impossible de prévoir une réduction des prestations dans cette situation car l’assuré n’avait pas l’intention de se mutiler pour obtenir des prestations de l’assurance (FF 1958 II 1188 + ATF 100 V 76). Une tentative de suicide n’est pas considérée par la jurisprudence comme un acte intentionnel pouvant justifier une réduction au sens de 21 al. 1 LPGA, à part si l’assuré a envisagé que sa tentative pouvait échouer et qu’il pourrait en découler une invalidité. La circulaire sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité confirme cette jurisprudence : le caractère intentionnel est pratiquement exclu en cas de tentative de suicide (n*1002). Afin de savoir si nous sommes en effet dans un cas de tentative de suicide et pas d’automutilation pour obtenir des prestations de l’assurance invalidité, il faut donc observer la volonté de l’assuré au moment du passage à l’acte.
Le TF a rappelé que le rôle de l’AI n’est pas de couvrir des événements déterminés, mais bien de couvrir l’invalidité en tant que telle. L’événement causal à l’invalidité n’a donc pas d’importance.
E. LPP
La LPGA n’est pas applicable à la LPP. Il faut donc se référer à l’art. 35 LPP qui dispose qu’une rente ne peut être réduite pour faute grave que si l’AVS/AI réduit les prestations. Comme vu précédemment, l’AVS et l’AI ne peuvent pas réduire les prestations en cas de suicide. Ainsi, le suicide ne donne lieu à aucune réduction des prestations de survivants (FF 1976 I 117).
F. Assurances vie
Les assurances vie sont gérées par des assureurs privés. Les pratiques quant à la couverture des cas de suicide divergent de l’une à l’autre assurance. En principe, les conditions générales d’assurance prévoient une période, au début du contrat, où le risque n’est pas couvert si la mort survient par suicide.
Les assurances Zurich et Bâloise excluent le versement des prestations pour les trois premières années d’assurance. En cas de décès par suicide durant ce délai, elles reversent la réserve mathématique d’assurance. De même, ces deux assurances prévoient des indemnités en cas d’incapacité de gain. Elles limitent toutefois le versement en cas de tentative de suicide. L’assurance Generali prévoit le même fonctionnement en cas de suicide.
En cas de suicide, l’assurance Allianz verse la valeur de rachat aux survivants. L’assurance la plus stricte dans ce domaine est sans aucun doute La Mobilière qui n’accorde aucune prestation en cas de suicide.
Les conditions générales d’assurance de la plupart des assurances vie montrent que le suicide commis en situation d’irresponsabilité est assimilé à un suicide commis en pleine conscience. Dans les deux cas, les survivants verront leurs prétentions contre l’assurance limitées voire supprimées.