Le droit à la commission en cas d’impossibilité de travailler suite aux Directives fédérales liées au Covid19

I – Les formes de salaire

A. Le salaire de base

Le salaire est la contre-prestation principale de l’employeur à la prestation de services du travailleur(1). Il en découle que le salaire n’est en principe dû que lorsque le travailleur fournit sa prestation. La loi prévoit des dérogations à ce principe notamment lorsque le travailleur est en incapacité de travailler. Nous y reviendrons plus en avant.

Le principe de la liberté contractuelle prévaut en droit Suisse, sous réserve notamment des conventions collectives, des contrats-types et de la loi sur l’égalité.

Ce salaire de base est calculé sur la base du temps et ne dépend ni de la quantité, ni de la qualité du travail. Le salaire est fixé à l’heure ou au mois. Dans cette dernière hypothèse, le salaire ne dépend pas de l’activité effective mais du calendrier(2).

B. Le salaire variable (ou commission)

En sus du salaire de base, les parties peuvent convenir que le travailleur a droit à une participation calculée sur la base de l’activité personnelle déployée. Elle dépend des affaires conclues par le travailleur.

A la condition qu’elle lui procure une rémunération convenable, la commission peut être l’unique rémunération du travailleur. La notion de rémunération convenable est prévue à l’art. 349a al. 2 CO(3).

La commission est due dès que le rapport de causalité est donné(4). Il ressort de l’art. 322b al. 1 CO que le droit à la commission est acquis dès que l’affaire a été valablement conclue. Ce droit s’éteint si l’employeur n’exécute pas l’affaire  sans faute de sa part ou si le tiers ne remplit pas ses obligations.

Au vu de ce qui précède,  lorsque le travailleur ne peut pas travailler, la commission ne serait pas due. En fonction de la cause de l’empêchement, cela est choquant.

(1) Wyler R./Heinzer B., Droit du travail, 4ème éd., Berne 2019, p.183.
(2) Wyler/Heinzer, p. 202.
(3) ATF 139 III 214.
(4) Wyler/Heinzer, p. 207.

II – Les causes d’empêchement de travailler

A. Les causes subjectives

Les causes subjectives sont liées à la personne du travailleur. Elles sont prévues à l’art. 324a CO. Il s’agit de la maladie(1), de l’accident, de l’accomplissement d’une obligation légale ou d’une fonction publique. La grossesse est également considérée comme une cause subjective d’empêchement de travailler (art. 324a al. 3 CO).

Le droit au salaire exige que l’empêchement de travailler soit non fautif. Il s’agit d’une condition sine qua non. Est considérée comme faute tout manquement à la diligence requise d’un salarié(2) dans sa vie professionnelle ou privée, qui entraîne un empêchement de travailler ou qui prolonge la durée de l’empêchement. Tel est le cas d’une faute intentionnelle ou d’une négligence. La faute légère n’atteint pas le droit au salaire.

A contrario, cela signifie que le travailleur a droit à son salaire si son empêchement n’est pas fautif.

B. Les causes objectives

Les causes objectives sont indépendantes de la personne du travailleur. Il s’agit de circonstances qui touchent toute la population ou du moins un grand nombre de personnes. La Doctrine cite les cas suivants : inondation, catastrophe naturelle ou guerre(3). A mon sens, l’épidémie et la pandémie sont également des causes objectives.

Dans de telles hypothèses, l’employeur ne doit pas verser le salaire au travailleur, sauf si la cause objective peut être assimilée à un cas prévu par l’art. 324 CO.

(1) Wyler/Heinzer, p. 207.
(2) Pour une définition de la maladie et de l’accident, voir la LPGA art. 3 ss.
(3) Wyler/Heinzer, p. 299.
(4) Wyler/Heinzer, p. 279 et auteurs cités.

III – L’empêchement de travailler due au COVID 19

A. L’application analogique de l’art. 324 CO

Selon l’art. 324 CO, si l’employeur empêche par  sa faute l’exécution du travail ou se trouve en demeure de l’accepter pour d’autres motifs, il reste tenu de payer le salaire sans que le travailleur doive encore fournir son travail.

Cela signifie que le travailleur doit offrir sa prestation de manière effective. Quant à l’employeur, il doit avoir refusé la prestation de manière injustifiée. Pour déterminer l’existence de justes motifs, il convient de garder à l’esprit que les risques de l’entreprise et les risques économiques sont à la charge de l’employeur. Ainsi, si l’employeur refuse les services de l’employé pour de tels motifs, il est en demeure (1) et  doit payer le salaire comme si le travailleur avait accomplit son travail.

Parmi les risques d’entreprise ou les risques économiques, on peut citer l’interdiction administrative d’exploiter (2). Ainsi si l’Etat prend des Directives interdisant à certaines entreprises de travailler totalement ou partiellement, pour cause de pandémie, c’est à l’employeur de supporter ce risque et le salaire est dû (3).

Une partie de la doctrine estime que la situation actuelle liée au Covid19 est un cas d’impossibilité au sens de l’art. 119 CO (4). Contrairement à l’avis de ces auteurs, il y a lieu, à mon sens, de considérer que la situation actuelle rentre dans le cadre de l’art. 324 CO (5). En effet, le Tribunal fédéral a eu l’occasion de préciser que l’art. 324 CO l’emporte sur l’art. 119 al. 1 CO en matière de droit du travail (6).

Bien entendu, si l’employé tombe malade à cause de la pandémie, il a droit à son salaire sur la base de l’art. 324a CO. Il en va de même des employés dit « vulnérables», moyennant un certificat médical ou une déclaration personnelle (7). Les art. 10b  et 10c de l’O-COVID-19 leur accordent une protection particulière.

Quant aux personnes mises en quarantaine, elles ont droit aux allocations pour pertes de gain (10 au total) en vertu de l’art. 3 al. 5 O-COVID-19 APG (8).

B. Le droit au salaire de base et à la commission

  1. Le salaire de base

Le Conseil fédéral a pris d’autres mesures de protection sociales pour lutter contre les conséquences du Covid-19. Le but est de permettre aux entreprises de  préserver les emplois par le biais de réduction de l’horaire de travail (RHT).

Si une partie ou la totalité du personnel ne peut plus poursuivre son activité en raison des Ordonnances et Directives susmentionnées, les employés ont droit à une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) conformément aux art. 31 à 41 LACI. Il appartient à l’employeur de déposer une demande d’indemnité pour réduction de l’horaire de travail. Il s’agit d’une obligation (9).

Concrètement cela signifie que l’employeur doit payer les employés à hauteur de 100 % des heures travaillées et de 80 % des heures perdues (10).  Il recevra de la Caisse publique de chômage une indemnité pour réduction de l’horaire de travail, correspondant au 80 % des heures perdues. Selon l’art. 37 LACI, l’employeur doit avancer l’indemnité et la verser aux travailleurs le jour de paie habituel.

L’employeur est en outre tenu de continuer à payer intégralement les cotisations aux assurances sociales comme si la durée du travail était normale (11).

  1. La Commission

Le salaire comprend tous les éléments réguliers versés relatif à la période, en particulier la Commission, s’il apparaît que l’employé aurait accompli un tel travail ou réalisé un tel revenu (12). En effet, le risque de l’entreprise devant être supporté par l’employeur, le salaire est dû.

Si le salaire est versé à la pièce ou à la tâche, ou sur appel, l’employeur doit verser un salaire moyen (13). Le Conseil fédéral a décidé une dérogation à l’art. 31 al. 3 lit. a LACI pour les travailleurs sur appel. L’employeur doit calculer le montant dû en faisant la moyenne obtenue durant l’année écoulée (14). En tant que RHT, ce montant sera limité au 80 %.

De même, si le salaire de base est complété par une commission, le salaire doit comprendre cette commission. Celle-ci est calculée sur la base de la commission moyenne perçue l’année précédente. L’employé touchera également des RHT correspondant au  80 % de ce montant.

(1) Wyler/Heinzer, p. 262.
(2) Wyler/Heinzer, p. 271.
(3) Contra : Carruzzo P., Le contrat individuel de travail, Commentaire des articles 319 à 341 du Code des obligations, Zurich-Bâle-Genève 2009, N 1 ad art. 324.
(4) Dunand/Wyler, Quelques implications du coronavirus en droit suisse du travail, in : Newsletter Droitdutravail.ch du 9 avril 2020 de l’Université de Neuchâtel, p. 4.
(5) Pour rappel, les effets de l’art. 119 CO sont la « résiliation » du contrat, ce qui n’est pas  approprié au contrat de travail.
(6) ATF 124 III 346.
(7)https://www.seco.admin.ch/dam/seco/fr/dokumente/Publikationen_Dienstleistungen/Publikationen_Formulare/Arbeit/Arbeitsbedingungen/merkblaetter_checklisten/merkblatt_covid19.pdf.download.pdf/aide_memoire_sante_autravail_covid19_v25032020.pdf;contra : Dunand/Wyler, p. 12 qui estiment que l’employeur est libéré de son obligation de payer le salaire.
(8) Mesures du CF du 20 mars 2020, https://bsv..admin.ch/bsv/fr/home/assurances-sociales/eo-msv/grundlagen-und-gesetze/eo-corona.html
(9) Dunand/Wyler, p. 6.
(10) Contra : Dunand/Wyler, p. 6 qui estiment que l’employeur a une simple obligation de diligence et répond du dommage qu’il cause à ses employés s’il viole cette obligation.
(11) Dunand/Wyler, p. 16.
(12) Arrêt du 7 septembre 2004, 4C.173/2004.
(13) ATF 125 III 65.
(14) Arrêt du 7 septembre 2004, 4C.173/2004 ; ATF 125 III 14.

IV – Conclusion

La situation actuelle liée au Covid19 est extraordinaire et doit être traitée de la manière la plus équitable possible.

Dans la mesure où cette situation ne s’est jamais présentée, il convient d’appliquer par analogie les dispositions légales existantes, à la lumière de la Jurisprudence actuelle.

Ainsi, l’employeur doit verser le salaire en vertu de l’art. 324 CO et doit demander des indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT).

S’agissant de la commission, force est donc de constater que si celle-ci ne peut plus être réalisée par un employé en raison des interdictions de travail liées au Covid19, elle doit être comprise dans les indemnités dues suite à la réduction des horaires de travail (RHT), sur la base d’une moyenne.

A défaut, il y aurait une inégalité de traitement entre les travailleurs ordinaires, les travailleurs à la pièce/tâche, les travailleurs sur appel et les travailleurs payés partiellement ou totalement à la commission.

Estavayer-le-Lac le 15 avril 2020

Alexandra Farine Fabbro
Dr en droit – avocate

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